VII
EN orbite autour de la planète du Laboureur, le vaisseau alluma ses rétrofusées pour ralentir sa vitesse. Ils atterriraient dans une demi-heure.
Joe Fernwright s’amusait, en attendant, à lire d’un œil caustique le Wall Street Journal. Au cours de toutes ces années, il y avait déterré les nouvelles les plus effroyables comme les plus étranges. De plus sa lecture vous faisait faire un petit saut dans le futur – de six mois à peu près.
Création d’un dortoir sub-souterrain à New Jersey, destiné tout spécialement aux patients de gériatrie. L’ensemble possède entre autres un circuit ultramoderne de dégagement rapide et facile des chambres nouvellement libérées. Lorsque l’occupant meurt, des détecteurs électroniques scellés dans le mur enregistrent l’arrêt cardiaque et déclenchent l’activité de circuits particulièrement efficaces ; des bras artificiels saisissent le cadavre, l’enfournent dans le mur de la pièce où ses restes sont immédiatement incinérés dans un réceptacle en amiante prévu à cet effet. Le nouveau locataire peut ainsi prendre possession de sa chambre dès le midi suivant.
Il arrêta sa lecture, jeta le journal à terre. Nous sommes mieux en plein espace, décida-t-il. Si c’est le futur qu’ils nous ont prévu là-bas.
« J’ai vérifié nos réservations », fit Mali, prosaïque. « Nous avons tous des chambres à l’hôtel Olympia, dans la principale ville de la planète ; on l’appelle Pointe de Diamant, parce qu’elle est située sur une proéminence sinueuse qui s’avance quatre-vingts kilomètres dans la Mare Nostrum. »
« Qu’est-ce que c’est que cette “Mare Nostrum” ? » demanda Joe.
« Notre océan ! »
Il lui montra l’entrefilet du Wall Street Journal, puis le tendit en silence aux autres passagers. Ils en prirent tous connaissance et se regardèrent les uns les autres, attendant les réactions.
« Nous avons pris la bonne décision », fit Harper Baldwin. Ses compagnons approuvèrent. « Ça me suffit », continua-t-il. Il secoua la tête, le dégoût et la rage lui déformaient les traits : « Dire que c’est nous qui avons construit une telle société ! » gronda-t-il.
Des membres de l’équipage particulièrement musclés dévissèrent la porte du sas et une atmosphère à la senteur étrange et froide remplit la fusée. L’océan était tout près ; Joe sentait sa présence dans l’air. Se protégeant les yeux d’un soleil anémique, il distingua les contours d’une ville à l’aspect assez moderne, au-delà de laquelle s’étendaient des collines, mélange de brun et de gris. Mais l’océan est proche, se dit-il. Mali a raison ; c’est une planète gouvernée par les eaux. Et c’est dans leur tréfonds que nous trouverons notre raison d’exister.
Souriant d’une courtoisie mécanique, les hôtesses les escortèrent vers l’écoutille grande ouverte et l’escalier déployé qui s’enfonçait dans la surface détrempée du terrain. Joe Fernwright prit Mali par le bras et l’aida à descendre ; ils restèrent un moment silencieux. Mali semblait absorbée par un spectacle intérieur et ne s’intéressait pas aux autres ni aux bâtiments du spatioport. Peut-être ses ennuis ont-ils commencé ici ?
Et moi ? Que dois-je ressentir ? C’est le premier vol interplanétaire de ma vie. Le sol qui me supporte n’est pas la Terre. Quelque chose de très étrange et de très important m’arrive en ce moment. Il respira, portant attention à ses sensations. Un autre monde et une autre atmosphère. Que c’est bizarre !
« S’il te plaît », fit Mali, « ne me dis pas que tu te sens dépaysé par cet endroit. Fais ça pour moi. »
« Je ne comprends pas », répondit Joe. « Cette planète est pourtant étrange. Complètement différente de notre environnement habituel. »
« Ça ne fait rien », dit Mali. « Un petit jeu que nous avions inventé, Ralf et moi. Il y a bien longtemps. Nous appelions ça les chosismes. Voyons si je peux me souvenir de quelques-uns. Il en trouvait tout le temps. “L’éditeur a une tête de papier mâché.” En voilà un. “L’herbe envahit le pays petit à petit.” Celui-là est pas mal. “L’opératrice m’a raccroché au nez.” J’ai toujours aimé celui-là : il me fait penser à un gigantesque crochet de boucher en forme de téléphone. “En 1945 la découverte de l’énergie atomique électrifia le monde.” Tu vois ? » Elle lui lança un coup d’œil. « Ça n’a pas l’air. Tant pis. »
« Ce sont des vraies citations », répondit Joe. « Autant que je puisse dire. Où est le jeu ? »
« “L’enquête du Sénat sur les conditions de l’arrestation de l’étrangleur de Boston a été étouffée.” Comment trouves-tu celui-là ? Je l’ai vu dans un vieux journal. Ralf a dû faire de même ou les entendre à la télé ; je pense qu’ils sont tous véridiques. » Elle ajouta tristement : « Tout ce qui concernait Ralf était vrai au début. Mais plus après quelque temps. »
Une grosse créature brune qui ressemblait à un rat s’avança avec précaution vers Joe et Mali. Ses pattes maintenaient une montagne de livres.
« Ce sont les Répandeurs », fit Mali en montrant le rat géant et un de ses semblables qui avait déjà entrepris Harper Baldwin. « Une des formes de vie indigènes. À la différence de Glimmung. Tu trouveras… voyons. » Elle compta sur les doigts. « Les Répandeurs ; les Wubs ; les Werjes ; les Klakes ; les Trobes et les Imprimeurs, ce sont les résidus de temps meilleurs… plus vieux même que les Êtres-Brouillards disparus. Il veut que tu achètes un livre. »
Le Répandeur mit en marche un magnétophone miniature attaché à sa ceinture ; une voix commença aussitôt à parler à sa place. « L’histoire minutieusement reconstituée d’un monde fascinant », dit-elle en anglais, puis dans une variété d’autres langages. C’est tout au moins ce qu’il pouvait en déduire de ces sons continuellement changeants.
« Achète-le », fit Mali.
« Quoi ? »
« Achète-lui son livre. »
« Tu sais ce que c’est ? De quoi il parle ? »
Mali répondit d’une voix patiente : « Sur ce monde, il n’existe qu’un seul livre. »
« Par “monde” », fit Joe, « tu veux dire “planète” ou dans le sens général… »
« Sur la planète du Laboureur, il n’y a que ce livre. »
« Les gens ne commencent pas à en avoir marre de le relire ? »
« Il change », répondit simplement Mali. Elle tendit une pièce au Répandeur qui l’accepta avec gratitude et lui donna un exemplaire du livre en échange. Joe en hérita bientôt.
L’examinant avec attention, il fit : « Il n’y a ni titre ni auteur. »
« Ce livre est écrit », expliqua Mali pendant qu’ils s’avançaient vers les bâtiments du spatioport, « par un groupe de créatures ou d’entités – je ne connais pas le français pour le terme – qui s’est rassemblé pour enregistrer tout ce qui se passe sur la planète du Laboureur. Tout, jusqu’aux faits les plus humbles. »
« C’est une sorte de journal, alors. »
Mali s’arrêta ; elle se retourna pour le regarder avec des yeux brûlants d’exaspération. « Il est écrit À L’AVANCE », réussit-elle à dire d’une voix à peu près calme. « Les Kalendes tirent les événements à la loterie, les inscrivent dans le livre anonyme du changement et ils arrivent un jour ou l’autre. »
« C’est de la précognition », fit Joe.
« La question reste posée. Où est la cause ? Où est l’effet ? Une fois, les Kalendes ont tissé dans leur scénario en constante altération que les Êtres-Brouillards allaient disparaître. Et ils ont disparu. Alors, est-ce la prédiction qui a éliminé les Êtres-Brouillard ? C’est ce que croient les Répandeurs. » Elle ajouta pourtant : « Mais les Répandeurs sont des personnes très superstitieuses. Ils croiraient n’importe quoi. »
Joe ouvrit le livre au hasard. Le texte était en une langue qu’il ne reconnut pas ; même les lettres de cet alphabet lui restaient étrangères. Puis, comme il feuilletait l’ouvrage, il tomba sur un court passage en français, enfoui dans la masse des langues inconnues.
Mlle Mali Yojez est un expert en nettoyage des dépôts coralliens sur les épaves englouties. D’autres talents ont été recrutés à travers la galaxie tout entière, des géologues, des ingénieurs structuraux ou hydroliciens, des séismologues ; la spécialité de l’un d’entre eux est la robotique sous-marine, un autre, archéologue, est maître dans l’art de localiser les vieilles cités enfouies. Un étrange bivalve aux bras multiples vit dans un réservoir d’eau salée et supervise le renflouage des vaisseaux coulés. Un gastropode capable de…
À ce point, le texte continuait son cours dans une autre langue ; il referma le livre et réfléchit : « Je suis peut-être cité là-dedans quelque part », fit-il enfin, comme ils prenaient place sur le trottoir roulant menant au hall principal du spatioport.
« Bien entendu », répondit calmement Mali. « Si tu longtemps regardes, tu le trouveras. Comment cela te… pardon. Quel effet cela te fera-t-il ? »
« C’est angoissant », dit-il en continuant à réfléchir.
Un véhicule de sol, faisant office de taxi, les transporta à leur hôtel. Pendant le court trajet Joe Fernwright continua à examiner le livre anonyme ; il ne pouvait s’en détacher et en perdait le spectacle coloré des boutiques et des nombreuses formes de vie affairées devant lesquelles passait le taxi – les rues de la ville, ses habitants, ses immeubles se fondaient en une vague perception, comme un paysage au crépuscule, car il avait déjà trouvé un autre passage en français.
De toute évidence, l’Œuvre concerne la recherche puis le renflouement et la restauration d’une structure sous-marine, très probablement – étant donné le nombre de spécialistes recrutés – quelque chose de gigantesque. Presque certainement une ville tout entière ou même une civilisation d’un passé lointain
Une fois de plus, le texte continuait en un graphisme étranger fait de points et de traits, une sorte d’écriture binaire.
Joe se tourna vers sa voisine : « Ceux qui écrivent ce livre connaissent le projet de renflouement d’Heldscalla. »
« C’est vrai », répondit simplement Mali.
« Mais où est la précognition ? » continua Joe. « Ce sont des informations remarquablement fraîches – elles nous suivent à la minute ou à l’heure près – mais c’est tout. »
« Tu en trouveras », répondit Mali, « lorsque tu auras cherché assez longtemps. Elles sont enterrées au milieu des différents paragraphes qui sont tous la traduction d’un texte originaire. C’est comme un fil qui se déroule ; le fil du passé qui traverse le présent, puis pénètre le futur. Quelque part dans ce livre, monsieur Fernwright, est écrit le futur d’Heldscalla. L’avenir de Glimmung. Notre propre avenir. Nous sommes les fils que tissent, pour compléter leur œuvre, les Kalendes, de leur position hors du temps. »
Joe affirma : « Tu connaissais déjà l’existence de ce livre avant même que le Répandeur ne te le vende. »
« Je l’ai eu entre les mains lors de mon séjour ici avec Ralf. Le S.S.A. nous avait extrapolé un avenir joyeux, et le livre des Kalendes, ce livre que tu tiens, nous apprit que Ralf… » Elle s’arrêta un instant. « Il s’est suicidé. Il avait d’abord tenté de me tuer… sans succès. »
« Et le livre des Kalendes l’avait prédit ? »
« Oui. Très exactement. Je me revois lisant le texte avec Ralf et refusant d’y croire. Nous étions encore obnubilés par l’idée que le S.S.A. reposait sur l’analyse scientifique des données alors que ce livre n’était qu’un ramassis de contes de vieilles bonnes femmes, toujours prêtes à souhaiter le malheur des couples heureux. »
« Pourquoi le S.S.A. s’est-il trompé ? »
« Tout simplement parce qu’il lui manquait un élément capital. Le syndrome de Withney. Une régression psychotique déclenchée par les amphétamines. Un accès de paranoïa, d’hostilité meurtrière. Il se trouvait trop gros et les prenait comme… » Elle cherchait le mot.
« Des anorexigènes », compléta Joe. « Comme l’alcool. » Elles aident certaines personnes ; en tuent d’autres, pensa-t-il. Et le syndrome de Whitney n’a pas besoin d’une overdose ; la plus infime quantité de produit déclenche la catastrophe. Il suffit que la maladie soit déjà latente. Tout comme pour l’alcoolique, un seul verre sonne le glas de la défaite, le rythme inexorable de la destruction prochaine.
« Quelle tristesse », murmura-t-il.
Le taxi arrêta sa marche traînante et son conducteur – une créature à l’aspect de castor menaçant avec ses dents effilées – lança quelques mots en un langage incompréhensible à l’oreille de Joe. Pourtant, Mali hocha la tête et donna à l’individu quelques pièces de métal tirées de son sac.
Planté bientôt au milieu du trottoir, Joe jeta de longs regards autour de lui et fit : « C’est comme si nous étions revenus cent cinquante ans en arrière. » Les automobiles à essence ; les réverbères… On se croirait sur Terre, du temps du président Franklin Roosevelt, réfléchit-il à la fois curieux et amusé. Il aimait cette vie, songea-t-il, avec son rythme plus lent. Et aussi sa population clairsemée : il y avait peu de piétons (le terme résonnait étrangement dans son esprit car tous les passants ne se déplaçaient pas sur des pieds) ou de véhicules à cette heure de la journée.
« Tu comprends maintenant pourquoi tu m’as mise en colère sur le vaisseau », remarqua Mali qui avait surpris sa réaction. « À cause de ton mépris pour la planète du Laboureur, ma terre d’accueil de six années. Et maintenant… » Elle fit un geste large. « Je suis de retour. Et je repars sur le même chemin ; je me suis encore mise à croire aux prédications du S.S.A. »
« Allons prendre un verre à notre hôtel », proposa Joe.
Ils franchirent les portes à tourniquet et se retrouvèrent dans le hall de l’hôtel Olympia au plancher luisant de cire, aux murs lambrissés de boiseries savamment sculptées, avec ses poignées de porte et ses rampes d’escalier en cuivre poli, ses épais tapis écarlates. Joe ne manqua pas de s’étonner devant l’immense et vétuste ascenseur. Imposante cage métallique sans le moindre automatisme, à l’intérieur de laquelle attendait un liftier.
Dans sa chambre au charme vétuste avec son armoire ornementée, son long miroir ovale terni, son lit de fer et ses stores en toile, Joe Fernwright était enfoncé dans un fauteuil râpé au rembourrage excessif, et étudiait le Livre.
Dans un passé récent le Jeu avait occupé tout son esprit. Maintenant le Livre tenait sa place. Et pourtant la qualité de son investissement était bien différente, comme celle de son objet, il s’en rendait de plus en plus compte à mesure qu’il avançait dans le Livre. Par bribes infimes, tirées d’une exploration patiente des pages, il avait rapproché les éléments disséminés du texte français dont la structure prenait ainsi peu à peu forme en lui-même.
« Je vais prendre un bain », fit Mali. Elle avait déjà ouvert sa valise et étalé la plus grande partie de ses vêtements sur le lit.
« Ne trouves-tu pas étrange, Joe Fernwright », l’appela-t-elle, « que nous soyons obligés de prendre des chambres séparées comme au siècle dernier ? »
« Tout à fait. »
Elle entra dans la pièce, seulement vêtue d’une paire de pantalons serrés, le buste complètement nu. Il admira encore sa haute stature aux muscles tendus et finement découpés, ses petits seins fermes. Le corps d’une danseuse, se dit-il, ou… d’une femme de Cro Magnon, du chasseur souple et rusé, habitué aux longues marches forcées, et même à s’en retourner bredouille. Il n’y avait pas sur elle un gramme de chair inutile. Ses caresses l’avaient déjà senti dans l’intimité claquemurée du salon du vaisseau spatial ; mais cela apparaissait maintenant en pleine lumière. Une pensée morbide lui vint alors : Kate aussi avait eu – et continuait à avoir – un beau corps. Soudain déprimé, il revint à sa lecture.
« Coucherais-tu quand même avec moi, si j’étais un cyclope ? » demanda Mali. Elle montra un point au-dessus de son nez. « Un œil là, comme Polyphème, le cyclope de l’Odyssée. Je crois qu’ils le lui ont crevé avec un pieu incandescent. »
Joe s’exclama : « Écoute ça ! » Il lut tout haut un paragraphe du Livre. « L’espèce dominante en cette période consiste en ce qu’on appelle un Glimmung. Cette immense entité sombre n’est pas native de la planète, mais y a émigré depuis quelques siècles, supplantant les races affaiblies laissées maîtres du terrain par la disparition des Grands Anciens, ceux que l’on appelle les Êtres-Brouillards ! » Il fit signe à Mali de venir et continua : « Toutefois, les pouvoirs de Glimmung sont sévèrement limités par un Livre mystérieux dans lequel, à ce que l’on sait, tout ce qui a été, est et sera se trouve enregistré ! » Il referma l’ouvrage avec un bruit sec. « Il parle de lui-même ! »
S’approchant du fauteuil, Mali se pencha pour lire. « Laisse-moi voir ce qu’il dit d’autre. »
« Il n’y a rien de plus en français. »
Mali lui emprunta le Livre et se mit à le feuilleter. Elle grimaça soudain, son visage était tendu et sombre. « Tu es là, Joe », dit-elle enfin. « Je te l’avais bien dit : tu y es désigné nommément. »
Fernwright reprit le texte et lut rapidement.
Joe Fernwright apprend que Glimmung considère les Kalendes et leur Livre comme ses ennemis, qu’il essaie paraît-il de se débarrasser d’eux une fois pour toutes. On ne sait pas comment il compte s’y prendre car les rumeurs divergent à partir de ce point.
« Laisse-moi tourner les pages », dit Mali ; elle examina la suite de l’ouvrage puis s’arrêta ; son visage s’assombrit. « C’est dans ma langue », fit-elle. Elle étudia le passage pendant un long moment, et comme elle lisait et relisait, l’expression de son visage se pétrifiait. « Cela affirme », reprit-elle, « que l’œuvre de Glimmung concerne le renflouement de la cathédrale Heldscalla et sa reconstruction sur terre ferme. Et qu’il échouera. »
« Y a-t-il quelque chose de plus ? » demanda Joe, pressentant obscurément sur son visage qu’elle en avait plus à dire.
Mali répondit : « Il écrit que la plus grande partie des employés de Glimmung seront détruits. Lorsque l’œuvre échoue. » Elle se corrigea elle-même. « Toòjic. Endommagé, supprimé. Estropié, c’est ça. Ils seront estropiés de manière permanente, leur guérison sera problématique. »
« Crois-tu que Glimmung connaisse ces passages ? » fit Joe. « Qu’il échouera et que nous… »
« Bien sûr qu’il sait. C’est écrit dans le texte que tu as lu. “Glimmung considère les Kalendes et leur livre comme ses ennemis et prépare leur défaite.” Et “il relève Heldscalla pour défaire les Kalendes.” »
« Ce n’est pas ce qui est écrit », fit Joe. « Plus exactement : “On ne sait pas comment il compte s’y prendre car les rumeurs divergent à partir de ce point.” »
« Cela concerne de toute évidence Heldscalla. » Elle fit les cent pas autour de la chambre ; visiblement agitée, elle se tordait les mains, convulsivement : « Tu l’as dit toi-même : ceux qui ont écrit ce Livre connaissent notre projet. Il ne te reste plus qu’à rassembler les deux passages pour conclure. Tout notre futur est là-dedans ; celui d’Heldscalla, celui de Glimmung. Notre sort est de ne plus exister, de mourir. » Elle s’arrêta de marcher, le regarda d’un air effaré : « C’est ainsi que périrent les Êtres-Brouillards, en défiant le Livre des Kalendes. Les Répandeurs le diront ; ils en discutent encore. »
Il y eut un coup à la porte ; elle ouvrit et un Harper Baldwin embarrassé s’introduisit dans la pièce. « Je suis désolé de vous déranger », grommela-t-il, « mais nous avons lu ce Livre. » Il tint à bout de bras son exemplaire du Livre des Kalendes. « On y parle de nous. J’ai prié la direction de l’hôtel de convoquer ses clients à la salle de conférences principale pour dans un quart d’heure. »
« Nous y serons », fit Joe. À ses côtés, Mali Yojez approuva de la tête, son corps à moitié dénudé tendu d’inquiétude.